Article - Statuts d’immigration et condamnations criminelles : la double-peine

double peine.jpg

Parlons de l’impact, pour les immigrants, de certaines condamnations reçues au Canada.

Nul besoin d’être un dangereux multirécidiviste ou d’avoir tué sa grand-mère pour avoir des problèmes avec son statut d’immigration lorsque l’on n’est pas citoyen-ne canadien-ne.

La double-peine est un concept utilisé pour référer au fait de devoir purger sa sentence (comme tout le monde), puis de subir une seconde conséquence, en lien avec ce que l’on est (un-e immigrant-e) plutôt que pour ce que l’on a fait. En résumé, être interdit de territoire et possiblement renvoyé du pays.

Au nom de la lutte contre la criminalité, de jeunes adultes vivant au Canada depuis leur plus jeune âge sont parfois renvoyés de manière tragique dans leurs pays de nationalité qu’ils ne connaissent pas. Car l’étranger reste toujours le criminel de l’autre aux yeux de la loi, même quand il est le produit des manquements de notre société…

Dans l’idéal et pour limiter les dégâts, mieux vaut donc agir le plus tôt possible. Comment? D’abord, en demandant la citoyenneté canadienne dès que possible. Si vous êtes intervenant-e social-e et que vous œuvrez auprès d’enfants vulnérables ou de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, vous pouvez les aider à déposer leurs demandes de citoyenneté dès qu’ils y ont droit.

Ensuite, en impliquant un-e avocat-e en droit de l’immigration dans le dossier, dès que des accusations sont portées contre un-e non-citoyen-ne canadien-ne.

Les résidents temporaires et la criminalité

Pour les résidents temporaires (travailleurs, étudiants ou visiteurs), la loi parle d’interdiction de territoire pour « criminalité ». Concrètement, les seules situations qui n’affecteront pas le statut de résident temporaire sont les infractions ne relevant pas d’une loi fédérale (comme les infractions aux règlements municipaux) ainsi que les infractions purement sommaires prévues par une loi fédérale. Spoiler : Ce genre d’infractions ne court pas les pages du Code Criminel. De plus, les résidents temporaires n’ont le droit d’en commettre qu’une seule, sauf si elles découlent des mêmes faits.

Par exemple, si vous prenez un taxi sans payer et faites du tapage sur la voie publique dans votre fuite, vous pourriez être accusé-e d’avoir troublé la paix et d’obtention frauduleuse de transport. Deux infractions purement sommaires qui découlent du même évènement, çà passe. Par contre si vous fuyez sagement cette fois-ci, mais faites du tapage sur la voie publique à une autre occasion après avoir laissé un généreux pourboire au chauffeur, vous pouvez être interdit de territoire.

D’un autre côté, voler un fromage (vol de moins de 5 000$) ou se battre avec quelqu’un dans un bar (voie de faits simple), sera de l’ordre des infractions dites « hybrides », pouvant donc mener à une interdiction de territoire pour criminalité dès l’instant qu’il y a une condamnation. Même chose pour la possession de cannabis illicite.

Évidemment, les résidents temporaires peuvent aussi être interdits de territoire pour cause de « grande criminalité », comme les résidents permanents.

La grande criminalité des résidents permanents

Pour les résidents permanents, la barre est en effet un peu plus haute et la loi parle plutôt d’interdiction de territoire pour « grande criminalité ». Pas de quoi prendre cela à la légère pour autant, car la grande criminalité n’est pas toujours celle à laquelle on pourrait penser… Par exemple depuis décembre 2018, conduire avec les facultés affaiblies par l’alcool ou le cannabis constitue de la grande criminalité, même si vous êtes juste condamné à payer une amende. Pourquoi? Parce qu’en théorie, il est possible d’être condamné à 10 ans de prison pour cela. La même règle s’applique pour toutes les infractions qui pourraient mener jusqu’à ce fameux 10 ans d’emprisonnement (ou plus), même si la personne concernée a dans les faits été poursuivie par procédure sommaire et n’a pas mis un seul orteil en prison. Par contre pour avoir un droit d’appel devant la Commission de l’Immigration (processus qui peut ultimement permettre de conserver la résidence permanente) la sentence d’emprisonnement ne doit pas dépasser 6 mois -1 jour.

Et si vous vous demandez ce qu’il en est des peines avec sursis, sachez qu’elles ne sont plus comptabilisées, depuis une décision de la Cour Suprême rendue en 2017.

Pour plusieurs infractions (vol, méfait, etc.), la barre des 10 ans sera généralement atteinte en fonction de la valeur du crime commis, selon qu’elle dépasse 5 000$ ou non. Ainsi, sans être condamné à aucune peine de prison, voler pour 4 500$ de fournitures dans un petit magasin de quartier ne constituera pas de la grande criminalité, mais voler un sac hermès à 6 500$, oui.

Quand l’infraction peut mener à un emprisonnement maximal inférieur à 10 ans, la loi considère qu’il s’agit de grande criminalité seulement dans les cas de sentence de plus de six mois de prison. Si l’on reprend l’exemple du vol dans le magasin de quartier ci-dessus, ce sera donc considéré comme de la grande criminalité seulement dans le cas d’une sentence de prison de 6 mois + 1 jour, ou plus.

Pour un résident permanent, il vaut parfois mieux faire de la prison, plutôt que pas du tout. Exemple : si lors d’un contrôle de police vous mentez sur votre identité, vous pourriez être condamné-e à quelques semaines de prison pour entrave à un agent de la paix (pas de la grande criminalité), ou être condamné-e pour fraude à l’identité sans aucune peine de prison (grande criminalité). Dans le premier scénario, vous allez en prison quelques temps mais votre statut de résident permanent n’est pas mis en péril. Dans le second, un processus d’interdiction de territoire pourra être enclenché contre vous.

Et les demandeurs d’asile?

Bien que les règles soient quelque peu différentes pour les demandeurs d’asile, ils peuvent perdre leur droit de faire une demande d’asile pour cause de grande criminalité (ex: conduite avec facultés affaiblies). Pas de panique par contre, ils ne se feront pas renvoyés automatiquement dans leur pays d’origine où ils risquent possiblement la mort ou la torture, car ils pourront déposer une demande d’Examen des Risques Avant Renvoi (ERAR). Pour plusieurs raisons, les taux de succès des demandes ERAR sont cependant comparativement beaucoup plus bas que ceux des demandes d’asile. Alors, on ne panique pas…mais un peu quand même.

Les personnes déjà reconnues réfugiées sont quant à elles relativement protégées du renvoi (principe du non-refoulement oblige), mais il existe un mécanisme appelé « avis de danger » pour permettre leur expulsion dans certains cas. 

L’importance du rôle joué par l’avocat-e en droit de l’immigration

Un-e avocat-e en droit de l’immigration, en collaboration avec votre avocat-e criminaliste, peut vous aider à déterminer quoi négocier pour éviter le pire dans le cadre d’un plaidoyer de culpabilité, en prenant en compte les règles expliquées dans cet article, mais également d’autres facteurs, tels que les risques d’interdiction de territoire pour motif de criminalité organisée ou autre. Il ou elle peut également intervenir à l’étape de la sentence. Sachez aussi que si vous n’aviez pas pleinement conscience des conséquences sur votre statut d’immigration lorsque vous avez plaidé coupable, vous pourriez peut-être obtenir le retrait de votre plaidoyer de culpabilité. Enfin et dans les cas où l’interdiction de territoire sans droit d’appel est inévitable, l’avocat-e peut vous présenter vos options et stratégies possibles pour la suite afin de mettre toutes les chances de votre côté pour tenter de rester ou revenir au Canada légalement.

Bref, n’attendez pas d’avoir un pied dans l’avion!

Note: cet article de vulgarisation juridique ne peut en aucun cas remplacer un avis professionnel personnalisé donné dans le cadre d’une consultation juridique propre à votre cas.